Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces mots : an ini coz ; et sur l’âme du paysan breton, ce simple chant, d’une mélodie plaintive, n’est pas moins puissant que le ranz des vaches sur les enfants de l’Helvétie ; souvenir de la patrie absente, de la jeunesse évanouie, des premières amours, des veillées de l’hiver et des printemps de là-bas.

Mais si parmi tous ces peuples différents, la langue n’était pas la même, ces peuples étaient réunis par les mêmes intérêts à défendre, par la même liberté à sauver. Figurez-vous la Gaule celtique comme une réunion intelligente et vivace de petits États et de petites Républiques, les uns gouvernés par des magistrats à vie qui s’appellent des rois, les autres par des magistrats électifs qui ne gardent la puissance que pour un temps limité ; chaque année, au printemps, ces diverses fractions de la Gaule se réunissent, représentées par leurs députés, dans une assemblée générale où se débattent les intérêts de tous. Là, tout homme libre était le bienvenu ; l’assemblée était silencieuse, austère, intelligente ; elle savait écouter en silence, et quiconque troublait la délibération solennelle, était averti qu’il eût à prendre garde à sa langue et à son manteau ; à la troisième interruption, l’homme perdait la moitié de son manteau. Si parfois les colères étaient trop vives, les passions trop bruyantes, soudain les bardes chantaient, et leurs voix respectées calmaient cette émeute. Le poëme de ces temps primitifs serait beau à écrire ; ces hommes des bois, comme l’indique leur nom, évitaient l’enceinte des villes ; leurs cabanes étaient çà et là éparses dans les forêts, sur le bord des fleuves ; l’homme libre avait seul le droit de porter des armes ; il abandonnait l’agriculture à sa femme et à ses esclaves. Quand il n’avait pas à se battre pour son propre compte, il louait son courage à qui lui promettait de la gloire et du butin. La bataille était terrible, la victoire féroce ; les guerriers buvaient le vin, la bière et l’hydromel dans le crâne de leurs ennemis. Le Celte avait pour juge son épée, pour ornement sa longue chevelure blonde et ses colliers d’or ; il n’épousait qu’une seule femme, qui lui disait : « Vous êtes mon maître et je suis votre esclave ! » Sur cette femme, en effet, le mari avait le droit de vie et de mort, et le droit de divorce ; la femme adultère était brûlée vive. Quant à la croyance, ces barbares, comme des peuples intelligents à qui l’avenir était réservé, adoraient l’intelligence suprême qui a créé le monde et le soleil ; mais point de temples ; leur temple c’était la forêt, leur dôme c’était le ciel ; seulement, pour témoigner de leur passage sur la terre et de leur croyance en la puissance invisible, ils ont laissé des pierres