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de côté mes spéculations poétiques, sauf à y revenir plus tard quand je serais plus tranquille, et pour un instant je m’enfonçai dans les ténèbres décevantes de la métaphysique. J’en fis à mon ordinaire une science isolée de toutes les autres sciences, une abstraction réalisée, un jargon cadencé et sonore, mais sans résultat et sans intelligence pour personne. Je cherchai la cause des vertus et des vices ; je réfléchis beaucoup sur le bonheur et sur le plaisir ; un échappé de Charenton n’eût pas mieux fait. — Où est le bonheur ? me disais-je, et je me retournai vers les passants ; chacun courait après quelque chose qu’il appelait le bonheur, personne n’allait dans le même sens ; tous tendaient au même but : — Restons en place, me dis-je à moi-même, et voyons où j’arriverai.

J’étais assis sous un arbre, véritable parasol de grande route, brûlé et poudreux, quand, au milieu de ma rêverie, je fus accosté par un voyageur qu’à sa prière monotone, plus encore qu’à sa besace et à son bâton noueux, je reconnus pour un voyageur vagabond, espèce de chevalier errant, soumis et flatteur depuis le matin jusqu’à la nuit tombante. Comme il faisait grand jour, il m’aborda poliment, en me priant de lui prêter un peu de mon ombre, après quoi, et sans attendre une réponse, il s’assit à