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j’allais dans les maisons d’orthopédie, et je pensais amèrement que toutes ces déviations vertébrales seraient bientôt assez dissimulées pour que j’y pusse être pris, moi le premier : alors je me représentais mon étonnement et mon effroi, quand, dans le délire légitime de mes noces, voulant embrasser ma jeune compagne, soudain je sentirais ses reins menteurs s’enfuir entre mes mains tremblantes, sa taille disparaître, et qu’à la place de cette élégante beauté, je ne trouverais plus qu’un corps difforme et contrefait.

J’ai étudié entre autres laideurs, un beau jour de conscription, les défenseurs de la patrie. On les avait dépouillés de tout vêtement, et ils exposaient, à qui mieux mieux, en s’en vantant, comme le riche se vante de sa fortune, toutes leurs infirmités cachées, pour échapper à la gloire. Les uns avaient des chemises sales ; les autres des chemises trouées ; quelques-uns, c’étaient les plus élégants, n’avaient pas de chemise, et sous ces haillons des corps si laids ! des regards si misérables ! Un homme était là qui les toisait, les étudiant avec moins de soin qu’on ne ferait un cheval de coucou ! Pauvre race humaine ! race perdue. L’âme s’en est allée d’abord, le corps ensuite. Et il faut que la gloire se contente de ces cadavres-là !

Et quand venait le soir, je retrouvais mon atroce joie ; je sortais