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Dans la rue, glissait d’un pas réservé et modeste le vieux célibataire, pauvre homme courbé sous l’âge et sous sa liberté ; un pot fêlé à la main, il était en quête de son déjeuner de chaque jour. Il fallait voir son petit œil gris s’animer au seul aspect de la jeune femme de chambre, coquette charitable qui faisait à ce bon homme l’aumône d’un regard. Cependant la vieille laitière, en suspens au milieu de ses pratiques, était flanquée de sa petite charrette et de son gros chien ; puis un mendiant, vert encore, flatteur de toutes les cuisines, et rassurant par sa bonne mine ceux qu’aurait pu attrister sa voix plaintive, recueillait une abondante aumône ; et dans le lointain, la pauvre fille du hasard et de la joie, pâle, vagabonde, ruinée, l’habit en désordre, rentrait furtivement dans sa demeure honteuse, pour y déplorer le jeu fatal de la nuit, un jeu dont elle a été la dupe, car elle a joué autre chose que ses baisers. Chaque matin j’avais une heure de ce plat bonheur ; après quoi j’arrosais mes œillets, je taillais mes roses, j’arrangeais mes jardins, je parais mes domaines, je taillais les hautes futaies de ma fenêtre, tout en lisant quelque vieux chef-d’œuvre des anciens temps. J’étais donc, à tout jamais, et pour le reste de mes jours, un homme incomplet, un homme