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sur la fosse, en reprenant sa chanson : J’aime mieux boire !

En ce moment nous étions seuls, Sylvio et moi ; les curieux, n’ayant plus rien à voir, étaient partis. — Je m’enhardis jusqu’à me mettre à genoux. Je cherchai dans mon cœur quelque sainte prière, mais en vain. À peine pouvais-je retrouver quelques-unes de ces paroles consacrées à ceux qui ne sont plus : — De profundis clamavi ad te, et le fossoyeur répondait en faux-bourdon : J’aime mieux boire !

Sylvio m’arracha violemment à cette terrible scène : — Adieu, Henriette, adieu la fille de joie, mon cher et innocent amour ! Je reviendrai demain.

Le lendemain, je revins seul, ma tête pleine de prières, mon cœur plein de pitié, mes yeux pleins de larmes, mes mains pleines de fleurs ; mais arrivé à cette même place où se voyaient encore quelques gouttes de sang, il n’y avait déjà plus de tombe. Cette fosse vide et à demi comblée avait lâché sa proie ; l’École de Médecine avait volé le cadavre ; le fossoyeur, à jeun, avait repris, pour le revendre à un autre condamné, ce cercueil banal ; les femmes de l’endroit s’étaient battues à qui aurait le linceul, pour se parer, vivantes, de ce vêtement de la mort ; la taie d’oreiller