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lentement, le ciel se colorait de ces légères teintes si vives et si calmes qui terminent un beau jour. Tout là-bas, à mes pieds, Paris, cette même ville qui venait d’immoler sans pitié cette jeune femme couchée là, se préparait sans remords à ses fêtes, à ses plaisirs, à ses concerts, à ses danses, à ses amours de chaque soir. Où donc es-tu, ma pauvre Henriette ? Où s’est donc envolée, non pas ton âme, mais ta beauté ? Où donc se repose maintenant ton dernier sourire ? Pauvre enfant ! à cette heure, la place de ton vice et de ta beauté est déjà prise. D’autres femmes, d’autres vices de vingt ans, t’ont remplacée dans l’amour et l’admiration des hommes. Nul ne se souvient plus déjà, pas même les vieillards à la tête chenue à qui tu faisais l’aumône de ton amour, de toute cette jeunesse qui a brillé, qui a passé comme l’éclair ! pas un ne sait plus même ton nom ! On ne dit même pas, en parlant de toi : elle est morte ! on l’a tuée ! car on ne sait même pas si tu es morte ; on ne sait pas si c’est une femme qui a été immolée aujourd’hui. Eux cependant, les heureux de ce monde, les ingrats, ils se livrent à de nouvelles victimes qu’ils écraseront avec le même sang-froid impitoyable. Oh ! morte ainsi ! morte pour eux et par eux ! morte parce qu’elle était belle, pauvre et faible, et parce qu’elle s’est vengée !