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sur la terre sanglante, mon pauvre ami, que naguère j’avais flatté d’une main caressante ! Et sa maîtresse, sa jeune maîtresse, où est-elle à présent ? où est-elle ? Ainsi agité, je me précipitai dans l’arène pour fuir plus vite. En passant devant Charlot, je vis qu’il se débattait sous le poids de l’horrible agonie ; même dans un de ces derniers bonds d’une mort qui s’approche, je reçus de sa jambe cassée un faible coup, un coup inoffensif qui ressemblait à un reproche doux et tendre, au dernier et triste adieu d’un ami que vous avez offensé et qui vous pardonne.

Je sortis, en étouffant, de ce lieu fatal.

— Charlot, Charlot ! m’écriai-je, est-ce donc toi, Charlot ? Toi, mort ! mort pour mon passe-temps d’un quart d’heure ! toi, jadis si fringant et si leste ! Et sans le vouloir je me rappelai tant de bonheur décevant, tant d’agacerie innocente, tant de grâce décente et jeune, qui un jour m’étaient arrivés au petit trot sur le dos de ce pauvre âne ! C’est là une attendrissante et mélancolique histoire ! Deux héros bien différents, sans doute, mais pourtant deux héros inséparables dans mon souvenir et dans mes larmes. L’un s’appelait Charlot, comme vous savez ; l’autre se nommait Henriette. Je vais dire leur histoire ; je la dirai pour moi d’abord,