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— Une grâce, Monsieur ! je serais heureux de pouvoir vous en accorder une : on m’en a demandé beaucoup, toujours en vain ; c’est demander grâce au rocher qui tombe.

— En ce cas-là, vous avez dû souvent vous estimer bien malheureux.

— Malheureux comme le rocher. J’exerce, il est vrai, un cruel ministère ; mais j’ai pour moi mon bon droit, le seul droit légitime qui n’ait pas été nié un seul instant dans notre époque.

— Vous avez raison, vous êtes une légitimité, une légitimité inviolable, Monsieur ; et en bonne histoire, il faut remonter jusqu’à vous pour démontrer la légitimité.

— Oui, reprit l’homme, il est sans exemple qu’on ait jamais nié mon bon droit. Révolution, anarchie, empire, restauration, rien n’y a fait ; mon droit est toujours resté à sa place, sans faire un pas ni en avant, ni en arrière. Sous mon glaive, la royauté a courbé la tête, puis le peuple, puis l’empire ; tout a passé sous mon joug : moi seul je n’ai pas eu de joug ; j’ai été plus fort que la loi, dont je suis la suprême sanction ; la loi a changé mille fois, moi seul je n’ai pas changé une seule ; j’ai été immuable comme le destin, et fort comme le devoir ; je suis sorti de tant d’épreuves avec le cœur