Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/236

Cette page n’a pas encore été corrigée

Voilà l’ouvrage de vos jeunes fils et de vos vieux pères ! la voilà cette fille telle que l’a faite la corruption parisienne ! oui ; et si j’avais ajouté : Ô juges ! cette fille souillée et perdue, je l’aime ! À mes yeux, ce sang la lave ; en tuant cet homme, à peine s’est-elle fait justice, car elle n’a fait de cet homme qu’un cadavre ; mais cet homme avait fait d’elle une prostituée ! Voilà ce que j’aurais pu dire, voilà ce que j’aurais dû dire ; mais je l’ai laissée mourir. Égoïste, je ne voulais plus qu’elle m’échappât. À présent elle m’appartenait, jusqu’au jour où elle appartiendrait au bourreau. Moi seul, dans ce monde qui l’avait chargée de tant d’adorations et de tant d’outrages, je lui restais indigné et fidèle. Elle, cependant, elle était calme, tant elle était sûre de sa mort. Jamais je ne l’avais vue plus belle. La pâle clarté des assises, le crucifix sanglant au-dessus des juges, ces filles de joie qui venaient, de leurs dépositions unanimes, éclairer la justice du tribunal, ces plaidoiries pour et contre, qui ne disent pas un mot de la question, rien ne put la troubler, rien ne put la distraire. La force d’âme qui l’avait poussée à ce meurtre ne l’abandonna pas un seul instant. Elle appuyait sa tête sur ses mains, comme si elle eût senti sa tête chanceler sur ses épaules. Elle répondait aux juges avec