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lorsqu’on avait vu il fallait dire ce qu’on avait vu, tout ce que l’on avait vu, rien que ce qu’on avait vu ; que l’art était là tout entier ; que Milton en a menti quand il a déchaîné son armée d’anges et de diables ; que le Tasse en a menti quand il a élevé dans les airs l’élégant palais d’Armide ; que toute la poésie épique en a menti en masse quand elle s’est lancée dans le monde invisible, et qu’enfin il n’y avait de vrai que la Pucelle de Voltaire et le Charnier des Innocents. — La Critique m’écoutait comme si elle eût entendu parler un fou.

Et pour preuve, je lui racontai l’histoire d’une tête coupée dans le Sérail, et le Grand-Seigneur montrant à un peintre français comment les veines d’un homme décapité se resserrent au lieu de se dilater. Avant ce terrible mahométan tous les peintres qui avaient représenté la décollation de saint Jean-Baptiste, Poussin lui-même, en avaient donc menti par la gorge de leur martyr !

D’où il suit, encore une fois, qu’avant de parler d’une chose, il faut la voir de ses yeux, la toucher de ses mains. Vous parlez d’un mort, allez à l’amphithéâtre ; d’un cadavre, déterrez le cadavre ; des vers qui le rongent, ouvrez le cadavre. Si, par hasard, vous trouvez que c’est là rétrécir singulièrement le monde poétique, que de le renfermer dans les étroites limites de vos cinq sens, de le rapetisser assez pour qu’il tienne dans vos deux mains, ou que votre rayon visuel puisse l’embrasser tout entier, on vous répondra qu’à cet inconvénient dans le vrai, il existe un remède, la description. Maintenant qu’il vous est défendu d’avoir la vue très-longue et en même