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plaisir de la vengeance : j’en eus peur. — Pourrais-tu faire l’homme ivre-mort ? lui demandais-je.

— Je ne contrefais jamais l’ivresse, par respect, me répondit-il en se relevant. Si tu me paies bien, tu me verras ce soir véritablement et naturellement ivre-mort au coin d’une borne, et tu me verras gratis.

Je lui jetai quelque monnaie. Aussitôt l’Apollon, l’esclave, le dieu, le ver, redevenus un homme vulgaire, n’avaient plus à eux quatre, pour me remercier, qu’un niais sourire et une expression sans chaleur. — Un être si beau et si nul ! un si intelligent comédien, un si stupide mendiant ! Tout cela dans le même regard, dans la même âme, dans la même chair ! Certes, j’avais là le sujet d’une belle tirade philosophique, mais l’accident me fit rire ; et, ma foi ! je fus tout joyeux… d’être encore si joyeux.

Cependant un petit Savoyard, oisif, insouciant et flâneur, gai Bohémien des rues de Paris, ayant jugé sans doute que j’étais un bon homme, se mit à courir après moi : — Donnez-moi quelque chose, mon capitaine ! — Le capitaine restait muet. — Mon général ! — Le général courait toujours. — Mon prince ! — Foin du prince ! — Mon roi ! — Mon roi ! Je fus sur le point de lui donner ; mais je pensai à M. Royer-Collard, à M. de