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Vous êtes les fantômes souriants de mes passions d’autrefois ! Il ferait nuit, qu’à leur forme, à leur odeur, à un je ne sais quoi que je devine, je les reconnaîtrais les uns et les autres, dans tout ce pêle-mêle d’amours. Voici la première violette qu’Anna m’avait cueillie sur les bords de notre fleuve bien-aimé ; voici le ruban que me donna Juliette le jour de son mariage, pauvre femme ! Hortense m’abandonna ce mouchoir brodé la première fois que je lui pris la main. Ces longs cheveux noirs étaient espagnols, ils ornaient une tête impérieuse et fière ; encore enfant, malgré les plus tendres paroles, je n’osais pas fixer mes yeux sur ces yeux noirs et brûlants ; cet amour me fit peur, je le brisai, commençant violemment l’éducation de mon cœur.

Vous voyez ces douces épîtres, écrites sur un papier grossier, de longues barres difformes, un langage à part, intelligible seulement pour celui qu’on aime ! De la grande dame je m’étais élevé à la grisette, une fille douce et jeune qui tenait tout de moi, que j’aimais à la folie, qui venait le matin, se jetait en souriant sur mon tapis ; et là, des heures entières, moitié dormant, moitié éveillée, tantôt me regardant travailler avec un calme et long sourire, tantôt s’impatientant légèrement, elle attendait le moment heureux où, fière d’être à mon