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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.


Un des plus fiers poètes de ce temps-ci, Henri Heine (hélas mort à la peine, et qui s’est vu dévorer, en dix ans de supplices quotidiens, par la paralysie horrible*), attaqué par les puissances de l’Allemagne, il se défendait comme un lion. Certes, celui-là n’eût pas reculé devant cent mille Clitandre, et il leur eût fait voir bien des chemins. « Je suis, disait-il, un rossignol avec des griffes de tigre. Il y en a plus d’un que j’ai mordu et déchiré, et certes, je n’ai pas été un agneau, j’en conviens. Mais croyez-moi, les agneaux tant vantés, se montreraient moins doux, s’ils avaient les dents et les ongles du tigre. »

Il disait aussi, dans ce Romancero qui prend tous les tons de la satire à la Juvénal :

« O roi, je ne te veux pas de mal, et je te donnerai un conseil ; honore les poètes du temps passé, mais ménage les poètes de ton siècle !… Offense les dieux… mais n’offense pas les poètes. Les dieux, je le sais, punissent rigoureusement les méfaits des humains ; le feu de l’enfer est assez ardent… Pourtant il y a des saints dont les prières arrachent le pécheur aux flammes… et puis, à la fin des siècles, le Christ doit venir… Mais il y a des enfers dont il est impossible d’être délivré… Ne connais-tu pas Y Enfer du Dante, et ses secrets redoutables ? Celui que le poète y tient emprisonné, aucune divinité ne le sauvera. » C’est ainsi que le poète Eschyle : « Honorez les poètes, disait-il, si vous voulez vivre ! » Oh ! les braves gens, et qu’ils étaient loin de cette infamie : A bas la gloire, et vivent les écus !

Si donc la vocation, le talent, la chance heureuse, et tant de motifs irrésistibles de l’esprit humain peuvent faire, même d’un homme sage et bien conseillé, un écrivain de profession (et qu’en fin de compte chacun fasse le métier qu’il entend : Quam quisque novit artem, in hanc se exerceat, disait Cicéron), il faut cependant reconnaître que celui-là est un homme imprudent et mal conseillé, au plus haut degré, qui, par sa misérable obéissance aux lois stupides et malheureuses du hasard, ajoute aux difficultés naturelles de cette étrange profession, qup les peuples anciens n’ont pas connue, une foule d’obstacles contre lesquels viendraient se briser, nécessairement, les professions les plus acceptées et les mieux établies.

. De pane latrando, de contemnenda gloria.