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Cette belle et délicieuse maison de Sceaux, vous ne sauriez la reconnaître à ses ruines. Une révolution, qui a fait tomber les têtes les plus hautes et renversa les plus somptueux édifices, à traversé, sans pitié et sans respect, ce monceau fastueux de toutes les splendeurs. Palais renversé, marbres brisés, arbres déracinés, bosquets, charmilles, prairies, fontaines, kiosques, vastes étangs, eaux plates et jaillissantes, tous ces miracles de la fortune et de la faveur ont disparu comme une vaine poussière. La bande noire a vendu jusqu’aux plombs enfouis dans la terre ; elle a vendu la longue avenue ; elle a changé en fagots les vieux hêtres, sous lesquels tant de grâces et de beautés se tenaient assises, devisant entre elles des poètes, des romanciers, des nouvelles comédies et des ballets de Versailles.

Qui se promène aujourd’hui dans ce vaste emplacement, si bien disposé pour tous les plaisirs de la vie heureuse, aurait peine à reconnaître en ces broussailles la création de M. de Colbert, maître absolu, non moins que le roi, des finances de la France. Il avait épuisé dans sa maison de Sceaux tout ce que pouvait inventer le génie italien et français de la grande architecture, et quand il fut mort, raisonnablement chargé de la haine publique (pour employer un mot du cardinal de Retz parlant du cardinal de Mazarin), le propre fils de M. de Colbert, M. le marquis de Seignelay, se trouva mal à l’aise au milieu de ce faste insensé. Le roi, de son côté, toujours incliné à l’amitié pour le nom de M. de Colbert, acheta le palais et les jardins de Sceaux, dont il fit présent à son fils, M. le duc du Maine. Il en coûta plus d’un million, rien que pour l’acquisition de ce palais, sans compter les meubles des appartements, sans compter les statues des jardins. Tout un monde entourait de leurs