Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/68

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour une longue promenade, une chaise de poste, couverte de poussière, entrait dans la cour du château. Les gens de la maison, déjà réunis sur le perron, virent descendre un homme entre deux âges et tout semblable à quelque abbé de cour qui eût été capitaine d’infanterie avant d’entrer dans les ordres. Il avait la taille haute et la tête belle ; il portait le rabat, et ses bottes étaient éperonnées.

Sa démarche aisée annonçait un homme de cabinet. C’était l’abbé de Vertot lui-même, un historien plein d’esprit, d’éloquence, intelligent, avec toutes les qualités de l’historien, moins cette qualité suprême dont nous parlions tout à l’heure, la vérité. Il s’inquiétait beaucoup moins d’être vrai que d’être intéressant, rare et curieux ; pour peu que les matériaux de son histoire fussent à sa portée, il s’en servait très volontiers ; mais s’il fallait consulter les chartes anciennes, chercher dans la poussière des bibliothèques un document précieux, notre historien s’en passait plus volontiers encore. Un jour qu’on lui avait promis un récit authentique du siège de Malte :

— Ah ! dit-il, vous venez trop tard, mon siège est fait.

La sagesse des nations a pieusement recueilli cette belle parole de l’abbé de Vertot, et elle en a fait un proverbe.

Le jour dont nous parlons, il arrivait tout courant de Paris, porteur d’une grande nouvelle :

— Ami, dit-il au jeune homme, on chante aujourd’hui le Te Deum de la paix. Cette fois vous êtes libre, et je vous apporte, avec la croix de Saint-Louis, l’ordre de regagner votre régiment, et, s’il vous plaît, nous partirons ce soir.

A cette nouvelle inattendue on eût vu briller un éclair dans les yeux du jeune homme ; il avait en ce moment six coudées, la taille des héros d’Homère, et remettant à son père cette croix militaire qu’il avait si bien gagnée :