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pitié pour son fils, détaché de sa poitrine sa croix de Saint-Louis.

Ce retour, qu’elles s’étaient figuré superbe et triomphant, avait frappé de stupeur les deux jeunes filles, et, chose encore plus étrange (elles étaient à peu près du même âge, de la même taille, et les traits de Mlle de Silly avaient un peu grossi), le jeune colonel prit Élisa pour sa sœur, et sa sœur pour l’étrangère. Il embrassa tendrement la première, il salua poliment la seconde, et ne voyant pas que celle-ci rougissait, que celle-là restait interdite, il s’enferma dans un cabinet plein de livres, où il se tenait chaque jour, triste et silencieux, lisant les guerres de Thucydide, les Commentaires de César ou les livres de Polybe. Il étudiait aussi les grands capitaines ; à chaque bataille gagnée il poussait un profond soupir.

C’est ainsi qu’il menait une vie austère et sérieuse au milieu de ses livres, cherchant la solitude, le visage couvert d’une sombre tristesse. Étonnées et bientôt fâchées de son indifférence, les deux jeunes filles en murmurèrent chacune de son côté ; bientôt celle-ci fit à celle-là la confidence que si son frère ne l’avait pas reconnue, elle, de son côté, avait grand’peine à reconnaître son frère dans ce beau ténébreux. « Quand il a quitté, disait-elle avec un gros soupir, la maison paternelle, il était tout ce qu’il y a de plus alerte et de plus joyeux ; il ne parlait que de batailles et de victoires ; il écrivait des sonnets et des chansons ; il aimait la chasse, et, le dimanche, il dansait sous l’orme avec les villageoises. Si parfois le violoneux du pays manquait à la fête, eh bien, M. mon frère envoyait chercher son violon et nous faisait danser. En ce temps-là, il portait de beaux habits brodés, les cheveux bouclés ; il n’avait pas de moustache ; en revanche,