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dans cette maison, triste au dedans, c’est vrai, mais au dehors toute charmante. M. de Silly le père était un vieillard morose ; on ne l’entendait guère, on le voyait fort peu, il comprenait que sa mort était proche, et, résigné comme un vieux soldat, il se préparait à mourir en chrétien.

Beaucoup plus jeune, et très agissante encore, Mme de Silly s’inquiétait avec modération des tristesses de son mari, non plus que des dangers récents de sa fille, en proie à la petite vérole. Elle était, comme toutes les mères de ces temps antiques, passionnée pour la gloire et pour le nom de leur maison ; toute leur tendresse et toute leur ambition se reportaient sans cesse et sans fin sur leur fils, héritier et continuateur du nom, de la fortune et de l’autorité des aïeux. C’était l’habitude et la loi du monde féodal : tout revenait au fils aîné ; il était tout, le cadet n’était rien, il s’appelait M. le chevalier, et passait une vie obscure en un coin du château de son père, heureux de promener dans les jardins paternels le neveu qui devait le déshériter tout à fait. Quant aux filles, elles étaient encore moins comptées que les cadets ; on les mettait au couvent, moyennant une petite dot, et les voilà disparues à jamais.

Ainsi Mlle de Silly, dans la maison de ses pères, était une étrangère autant que la jeune Élisa ; mais l’habitude et la résignation, ajoutez la jeunesse, ont de grands privilèges ! Elles se contentent à si peu de frais ! l’horizon le plus prochain, elles ne vont pas au delà. Le lendemain, voilà le rêve des jeunes filles ; aujourd’hui, demain, rien de plus, pourvu qu’aujourd’hui et demain le jardin soit en fleur.

Donc ces deux jeunesses, livrées à elles-mêmes, lisaient les chers poètes de la jeunesse, à commencer par La Fontaine ;