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ce temps-là. Une jeune fille y laissait très souvent la vie et presque toujours sa beauté. Ce mal, qui répandait la terreur, était presque sans remède, et Mlle de Silly, lorsqu’au bout de quarante jours elle sentit disparaître enfin cette contagion qui avait éloigné de sa jeunesse toutes ses compagnes, trouvant la petite Élisa qui se tenait à son chevet comme un ange gardien : « Tu vois bien, lui dit-elle, que j’avais raison de t’aimer : tu m’as sauvé la vie ! Et comme Élisa lui voulait apporter un miroir : — Non, non, pas encore, attendons ; je dois être affreuse ! » et quelques larmes vinrent mouiller ses beaux yeux couverts encore du nuage... Elle ne fut pas défigurée ; elle revint à la beauté comme elle était revenue à la vie, et sa reconnaissance en redoubla pour cette amie qui l’avait sauvée.

Mme de Silly la mère accourut aussitôt que sa fille fut hors de danger, et ne put guère se refuser à inviter la jeune Élisa d’accompagner sa fille au château de Silly. C’était une vieille maison bâtie en S, l’usage étant alors de donner aux châteaux normands la forme de la première lettre du nom de la terre : ainsi la Meilleraie représentait une M dans la disposition de ses bâtiments ; mais la véritable distinction du château de Silly, c’est qu’il était placé au beau milieu de la vallée d’Auge, où tout fleurit, jusqu’aux épines. Au printemps, en été, aux derniers jours de l’automne, on n’entend que ruisseaux murmurant, oiseaux chantant, légers bruissements sous le souffle invisible.

Une fillette hors de son couvent, toute rayonnante de jeunesse et d’espérance, est naturellement heureuse en ce vaste jardin, et volontiers elle oublie, ô l’ingrate ! le couvent et ses mères adoptives. Tel était l’enivrement de la jeune Élisa, lorsqu’au bras de son amie elle entrait