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ristesse en ces lieux désolés de longue date ; si l’on eût cherché un domicile à l’anéantissement... le plus habile homme n’eût rien trouvé de plus propice que cet amas de souffrances et d’ennuis. La nature même, en ses beautés les plus charmantes, avait été vaincue à force de tyrannie. En ce lieu désolé, l’écho avait oublié le refrain des chansons ; le bois sombre était hanté par des hôtes silencieux ; l’orfraie et le vautour étaient les seuls habitants de ces sapins du Nord dont on entendit les cris sauvages. Sur le bord des lacs dépeuplés, ce n’étaient que coassements. Le bétail avait faim ; l’abeille errante avait été chassée, ô misère ! de sa ruche enfumée. Il n’y avait plus de sentiers dans les champs, plus de ponts sur les ruisseaux, plus un bac sur la rivière. Il y avait encore un moulin banal, mais pas un pain pour la fournée. On racontait cependant qu’autrefois les villageois cuisaient dans ce four leurs galettes de sarrasin, et, la veille des bonnes fêtes, un peu de viande au fond d’un plat couvert ; mais le plat s’était brisé. L’incendie et la peste avaient été les seules distractions de ces maisons douloureuses. La milice avait emporté les forts, la fièvre avait emporté les petits. Quelques vieux restaient pour maudire encore. A travers le cimetière avaient passé l’hyène et le loup dévorants. L’église était vide, et la geôle était pleine. Autel brisé, granges dévastées ; le curé était mort de faim ; la cloche, au loin, ne battait plus, faute d’une corde, avec laquelle le prévôt, par économie, avait pendu les plus malheureux. C’était la seule charité que ces pauvres gens pussent attendre. Ainsi, du Seigneur d’en haut et du seigneur d’en bas, pas une trace. En vain il est écrit : « Pas de terre sans seigneur, et pas de ciel sans un Dieu ! » C’était vrai pourtant, Dieu n’était plus là ! Le marquis de Mondragon, le maître absolu de cette seigneurie, était absent ; sa