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soin de chanter à ta jeune recluse une suite d’élégies et de chansonnettes galantes, avec accompagnement de théorbe ou de clavecin. Pensez donc si elle en était toute joyeuse, et si ces belles chansons se gravaient facilement dans ce jeune cerveau.

Les deux vraies mères de la jeune Élisa (c’était son nom) s’appelaient Mmes de Gien. Elles s’étaient chargées tout particulièrement de cette enfant devenue une grande fille, et comme elles seraient mortes de chagrin à la seule idée de s’en séparer, elles se firent nommer au prieuré de Saint-Louis, situé dans un faubourg de la ville de Rouen, sur les hauteurs. Mme de Gien l’aînée, étant abbesse, eut sa sœur pour coadjutrice, et l’une et l’autre, ayant pris congé de Mme de La Rochefoucauld, elles emmenèrent avec elles la jeune Élisa, qui devint une espèce de souveraine en ce prieuré, qui était pauvre et menaçait ruine de toute part. Mais ces dames avaient obtenu de leur famille une pension qui leur permettait de garder avec elles leur fille adoptive. Elles l’aimaient, en effet, comme une mère aime son enfant ; elle, de son côté, les entourait de mille tendresses. Elle était leur lectrice et leur secrétaire ; elle devint leur conseil.

Les livres étant chers et rares, ces dames ouvrirent une école, et la jeune Élisa tint leur école, où venaient plusieurs fillettes assez grandes, qui se lièrent d’amitié avec leur institutrice. Une entre autres, Mlle de Silly, agréable et bien faite, un bon esprit, un bon cœur, une vraie et sincère Normande, éblouie et charmée à son tour par la jeune Élisa, en fit comme sa sœur aînée. Elles s’éprirent l’une pour l’autre d’une amitié très grande, et se firent le serment de ne plus se quitter : « Non, jamais de séparation. Nous vivrons ensemble. »

Et justement Mlle de Silly fut prise d’un mal affreux en