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le grand siècle est achevé ; le roi et son digne ami, accablés de la même vieillesse et sous le poids du même ennui, assistent silencieux aux derniers jours du grand règne ; ils en ont contemplé toutes les merveilles, ils en subissent maintenant toutes les douleurs : une ruine immense, une gloire évanouie, un deuil sans cesse et sans fin de ces jeunes princes et de ces belles princesses, doux enfants dont les voix fraîches avaient peine à réveiller ces échos endormis. Et maintenant tout se tait dans ce Versailles des repentirs, des remords et des tombeaux.

Un soir d’hiver, quand le jour tout à coup tombe, au seuil de la sainte abbaye où Mme de La Rochefoucauld était un exemple austère des plus grandes vertus, une pauvre femme, à pied et venant de loin, s’était assise sur un banc de pierre et se reposait d’une grande course. Elle était jeune encore, et l’on voyait qu’elle avait été fort belle ; mais la peine et l’abandon, la pauvreté, dont le joug est si dur, avaient laissé sur ce beau visage une empreinte ineffaçable. Évidemment cette humble femme était au bout de ses forces et ne pouvait aller plus loin. Elle tenait de ses mains nues et pressait sur son cœur résigné une enfant pâle et frêle, une petite fille affamée et dont les grands yeux, brillant du triste éclat de la fièvre, imploraient à travers la porte fermée une protection invisible. Après un instant d’attente, et sans que la mère, ici présente, eût osé faire un appel à cette charitable maison, la porte s’ouvrit comme par miracle, et deux sœurs du Saint-Sauveur vinrent à la femme abandonnée, et, l’encourageant de la voix et du geste, celle-ci prit l’enfant dans ses bras, celle-là conduisit la mère au réfectoire, où se réunissaient toutes les sœurs pour le repas du soir. La salle était tiède et bien close ; au coin du feu pétillant dans l’âtre était le fauteuil de Mme l’abbesse. On y fit asseoir