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de celui-ci, la mort et la ruine de celui-là, je compose une fortune innocente à force de bons mots, de douces gaietés, d’aimables chansons. Pas un homme, ami des faciles loisirs, qui ne me donne en passant son obole, et qui plus tard songe à me la reprocher. Il est mon bienfaiteur, mais sans nulle contrainte ; il m’a fait une petite part de son bien, en échange de mon zèle à lui plaire, à l’instruire, à lui faire oublier les heures, à corriger gaiement ses petits vices, à lui montrer, sans fiel, ses petits ridicules.

Telle est, en effet, la justice suprême que peut se rendre un honnête écrivain, ami de l’ordre et de ses plaisirs, et voilà le fond d’où venait à M. Fauvel son légitime orgueil. A peine il venait de jeter son dernier coup d’oeil à la glace de la cheminée :

— Arrivez vite, disait Gaston à voix basse, ou vous allez manquer M. Romain. Le voyez-vous là-bas, à pied, se dirigeant vers la boutique de ce grand coiffeur de Paris ? Voilà sa Jouvence ; il en sortira frisé, busqué, musqué. On ajuste en même temps monsieur son cheval, dans la cour de l’hôtel, à un harnais qui porte une couronne de comte et des pompons nacarat.

Gaston riait, le poète riait aussi. En effet, ils virent passer le tilbury conduit par le groom de M. Romain. Dix minutes plus tard, M. Romain en personne, les cheveux en coup de vent, une rose au côté, les breloques au grand complet, le chapeau sur l’oreille, entrait droit comme un cierge et saluant du fouet les assistants émerveillés dans l’avenue qui conduisait au perron de la maison de Mme de Saint-Géran. Il descendit de sa voiture avec une imposante majesté. A la façon dont la porte à double battant fut ouverte, on pouvait deviner que ce grand homme était impatiemment attendu.