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déranger les combinaisons de son jeune maître. A la fin, cependant :

— Monsieur, dit-il, veut-il recevoir le lieutenant en premier, M. Gaston Moreau, des chasseurs d’Afrique ? Il attend la réponse de Monsieur.

— Gaston Moreau, un Africain... Mais êtes-vous bien sûr de ce que vous dites là ?

— D’autant plus sûr, Monsieur, que le jeune homme m’a demandé si j’étais bien le valet de chambre de Monsieur ; puis, à voix basse et de la façon la plus discrète, il m’a dit le nom de Monsieur, et, comme je semblais ne pas savoir ce nom-là : « Je suis sûr, m’a-t-il dit, de ce que j’affirme. Il n’y a pas deux hommes en toute la France qui aient l’esprit et le regard de cet homme-là. »

Jean parlait encore, que l’on vit entrer le jeune officier dans son bel habit tout neuf, orné d’une épaulette brillante, avec une riche épée au côté, et des gants jaunes, un vrai colonel d’opéra-comique.

— Ah ! Monsieur, s’écria-t-il en prenant les mains de M. Fauvel, pardonnez-moi si je suis indiscret ; mais je connais votre esprit, et je suis si malheureux !

Sur quoi, Jean étant sorti et la porte étant refermée, il fut facile au poète de deviner qu’il venait de rencontrer mieux que son confident... son complice... un bel amoureux de Mlle Laure, un vrai jeune homme, intelligent comme on ne l’est guère que lorsqu’on est possédé du véritable amour. Il regardait M. Fauvel de ses grands yeux doucement éblouis.

— Je vous aime depuis longtemps, lui dit-il ; je sais par cœur toutes vos chansons ; j’ai joué toutes vos comédies ; je suis tour à tour M. Paul ou M. Gonthier, et, la première fois que j’ai vu Mlle Laure, elle m’a frappé par sa ressemblance avec Mlle Léontine Fay, votr