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l’aquilon ; je la vois dans un jour si favorable, que je compte ses tours et ses clochers ; elle me paraît peinte sur le penchant de la colline. Je me récrie, et je dis : Quel plaisir de vivre sous un si beau ciel et dans ce séjour si délicieux ! Je descends dans la ville, où je n’ai pas couché deux nuits, que je ressemble à ceux qui l’habitent : j’en veux sortir. »

Sur quoi noire héros, s’étant surpris en état de comédie, se prit à rire de lui-même et s’endormit profondément.

Il était dix heures du matin quand maître Jean, le valet de chambre (un peu moins que Frontin, un peu mieux que Lafleur) entra d’un pas léger dans la chambre du poète, attendant un réveil dont l’heure était déjà passée. Il eut le temps d’affiler les rasoirs, de verser l’eau tiède et de préparer l’habit du matin ; à la fin, son maître étant éveillé, M. Jean lui raconta, selon ses instructions de la veille, ce qu’il avait appris de Mme de Saint-Géran et de son entourage. Elle possédait, à l’autre extrémité de la place, et tout en face des Armes de France, une belle et grande maison, que monsieur pouvait voir de sa fenêtre, et, depuis une année qu’elle était veuve, elle était devenue un objet de curiosité pour tous, d’intérêt pour quelques-uns. Son mari était né dans cette ville même, où elle n’était qu’une étrangère, et l’on n’attendait plus que son mariage avec quelqu’un du pays pour la couvrir d’une entière adoption.

Sa conduite était celle d’une honnête femme qui tient à l’estime publique ; mais les voltairiens disaient qu’elle était trop dévote. Elle était bonne aux pauvres, attentive à payer ses moindres dettes. Les dames de la ville d’en haut l’accusaient de pousser trop loin l’art de la toilette et ne lui pardonnaient pas les robes et le