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où il allait, et par quel tour de force il était parvenu, de si bonne heure, à cette étrange popularité.

Tous ces hommes semblaient se connaître. A les voir, à les entendre, on eût dit une compagnie qui se serait donné rendez-vous sur ces banquettes. Ils parlaient tous ensemble, à haute voix, la demande n’attendant pas la réponse, et Dieu sait avec quel accent, dans quel patois, et certains agréments de langage qui n’appartiennent à aucune langue. « Ah ! se disait notre auteur dramatique, me voilà bien dépaysé. Une comédie est là, sous mes yeux, on la joue, et je n’y comprends rien ; on la parle, et pour moi c’est lettre close. » Et véritablement, il assistait à un pandémonium rustique, où toutes les passions déchaînées hurlaient, glapissaient, riaient, badinaient. Je ne sais quoi de sinistre et de malsain était au fond de ces gaietés. Ces messieurs s’amusaient trop pour s’amuser innocemment.

Heureusement que ces grandes joies sont comme la fièvre, intermittentes ; elles s’apaisent assez vite. Après ces grands bruits, le calme et le silence ont leur tour. Peu à peu, maître Romain descendit de son char de triomphe, et, dans un langage assez clair, il expliqua comment il avait été choisi pour venir à bout de certain mariage où il devait trouver, en s’y prenant bien, une grande fortune. Il ne nommait personne, tant il se savait compris de tout le monde, et notre voyageur eut grand’-peine à deviner enfin qu’il s’agissait de la fortune et de la main d’une dame étrangère au pays, veuve depuis un an, restée seule et sans défense au milieu de toutes les difficultés d’un veuvage.

— Par ma foi, disait Romain, en tirant de sa vieille pipe une épaisse fumée, elle m’est bien due ; elle m’a donné, sans reproche, assez de mal. Voilà tan