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honneur de la contrée, et la table d’hôte, à trois francs par tête, était célèbre à dix lieues à la ronde. On s’assied, on mange, on boit, peu de causerie, et tout au plus quelques gaillardises de commis voyageur. Nulle homme en était consterné.

— Je n’irai pas longtemps ainsi, se disait-il, je prendrai la post à Mâcon, et j’aurai peut-être l’honneur de voyager tout seul.

Ce bon dîner semblait avoir ragaillardi tout le monde. Un petit vin blanc, sentant la pierre à fusil, réjouissait toutes ces têtes. Le conducteur lui-même était sous l’influence de cette innocente orgie, et ne pressait pas trop les voyageurs de remonter à leur place. Il faut vous dire que deux voyageurs s’étaient arrêtés au Soleil d’or, et avaient été remplacés dans la diligence par deux nouveaux venus qui méritaient une certaine attention.

Le premier était un jeune homme, aux cheveux bouclés, porteur d’une veste à boutons d’argent et coiffé d’une casquette prétentieuse où quelque Arachné villageoise avait brodé un sabbat de papillons. Il y en avait de toutes formes et de toutes couleurs : gris, bruns, jaunâtres, il y en avait même un rose au bord de cette aimable coiffure, et tous ces papillons voltigeaient autour de ce rustre endimanché. Dans une poche de côté, il portait un foulard de couleur sang du bœuf, qui lui donnait de loin l’apparence d’un chevalier de la Légion d’honneur. Des guêtres serrées à fond dessinaient une jambe un peu grasse, une rotule épaisse, et laissaient voir un pied plat. Ce jeune homme, évidemment, se croyait le plus beau du monde. Il n’était fille d’auberge qui ne le saluât d’un sourire, et quand il parut à la portière, il y eut dans tout le carrosse une explosion de joie et d’orgueil. « Voilà Romain, disait-on. Ah ! te voilà, Romain ! Bonjour, Romain. » Il saluait