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I

C’est un rare et charmant instant, dans la vie et le travail d’un écrivain sérieux qui comprend toute sa destinée, l’instant où, content de lui-même et des autres, il entre enfin en pleine possession du succès, de la popularité, de la fortune. Il doutait jusqu’à cette heure, et même aux jours du succès, il se demandait s’il n’était pas le jouet d’un songe, et si le lendemain serait aussi doux que la veille. Il faut tant de soin, de zèle et de bonheur, disons tout, tant de mérite et de talent, pour percer le nuage, et le bruit vient si lentement à l’écrivain ! Quoi de plus triste et rempli des plus terribles angoisses que les premiers commencements du travail littéraire ? On hésite, on se trouble, on étudie, épouvanté de tant d’obstacles, toutes les petites passions de son lecteur. Le style, en même temps, qui se révèle à si peu de beaux esprits singuliers et primesautiers, représente à lui seul une peine infinie. Ah ! que de fois voilà le commençant qui maudit la tâche acceptée ! Il y renonce, il n’en veut plus ; il sera volontiers le soldat, le marin, l’avocat, le marchand ; mais écrire incessamment, écrire aujourd’hu