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interroge et fouille en tous sens... la croix sainte qui devait le protéger est abattue.

— Oui-da, reprit Satan, tu cherches en vain ta force et ton appui. Les malheureux que tu as faits ont abattu le calvaire. A force de misère, ils ont cessé d’espérer et de croire. Insensé ! voilà les ruines que la malice et ta lâcheté devaient prévoir. Ces désespérés se sont vengés sur les reliques des martyrs, et maintenant c’est toi qui seras châtié des profanations de tous ces malheureux.

A cette révélation dont il comprenait toute la justice, le bailli tomba de son cheval, et le cheval, soulagé de son double fardeau, l’homme et la main du diable, repartit au galop en faisant une telle pétarade, avec tant de soleils, de bombes, de fusées et d’artifices, qu’elle eût suffi à solenniser la fête du plus grand roi de l’univers. Voyant l’homme écrasé sous la honte et la peur, Satan le releva doucement, comme eût fait un tendre père pour son fils unique, et tous les quatre ils descendirent la pente assez douce qui conduisait aux divers villages de cette abominable seigneurie. Ils frôlèrent les premières maisons, sans entendre autre chose que des gémissements et des larmes, mais pas encore une malédiction. Ces gens avaient peur et tremblaient de tous leurs membres. Le malade arrêtait son souffle et l’enfant brisait son jouet ; la femme, épouvantée, allait se cacher dans quelque fente, et les chiens oubliaient d’aboyer. Mais enfin, quand ils eurent ainsi parcouru toute une rue, on entendit sortir de ces chaumières en débris des murmures, des cris, des plaintes, des malédictions, la malédiction unanime allant sans cesse et grandissant toujours. Au second village, voisin du premier, la colère avait remplacé la plainte, et ces malheureux criaient :

— Arrière le brigand qui m’a volé mon fils ! mort au