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fenêtres l’aubade accoutumée ; il dîne à son grand couvert, pendant que les vingt-quatre violons jouent leurs sarabandes dans l’antichambre.

En ce moment, le roi revoit d’un coup d’œil toute sa vie ; il serait volontiers son propre juge. À deux serviteurs qui pleurent au pied de son lit : « Pourquoi pleurez-vous ? dit-il. Est-ce que vous pensiez que j’étais immortel ? » C’est qu’en effet, dans ce palais de Versailles, chacun pensait que le grand roi ne pouvait pas mourir.

« Le samedi 31 août 1715 (c’est encore Saint-Simon qui parle, et nos lecteurs ne s’en plaindront pas), la nuit et la journée furent détestables. Il n’y eut que de courts et rares instants de connaissance. La gangrène avait gagné le genou et toute la cuisse. On lui donna du remède de feu abbé Aignau, que la duchesse du Maine avait envoyé proposer. Les médecins consentaient à tout, parce qu’il n’y avait plus d’espérance. À onze heures du soir, on le trouva si mal qu’on lui dit les prières des agonisants. L’appareil le rappela à lui. Il récita les prières d’une voix si forte, qu’elle se faisait entendre à travers celle du grand nombre d’ecclésiastiques et de tout ce qui était entré. À la fin des prières, il reconnut le cardinal de Rohan, et lui dit : « Ce sont là les dernières grâces de l’Église. » Ce fut le dernier homme à qui il parla. Il répéta plusieurs fois : « Nunc et in hora mortis ; » puis dit : « O mon Dieu, venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir ! » Ce furent ses dernières paroles. Toute la nuit fut sans connaissance, et une longue agonie, qui finit le dimanche 1er septembre 1715, à huit heures un quart du matin, trois jours avant qu’il eût soixante-dix-sept ans accomplis, dans la soixante-douzième année de son règne.

« Il s’était marié à vingt-deux ans, en signant la fameuse paix des