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prévu cette fin subite d’une si belle vie. On peut dire avec assurance que Mme la marquise de Sévigné, non moins que Mme de Montespan et Mme de Maintenon, tient sa place au premier rang des intelligences à qui la langue française est redevable de la plus grande part de son charme et de sa clarté. Pas un écrivain plus que Mme de Sévigné n’a parlé dignement du château de Versailles. Elle en savait toutes les grandeurs, elle en disait toutes les gloires, et le roi, qui la connaissait bien, ne manquait pas d’aller au-devant d’elle et de lui offrir son bras pour la conduire au milieu de ces enchantements. Élégante et charmante en sa vie, elle fut résignée et simple dans sa mort : « Ma fille, écrivait-elle peu de temps avant l’heure fatale, j’ai bien vécu ; Dieu me prendra dans sa grâce, je l’espère, et, quant à ma fortune, je mourrai sans dettes et sans argent comptant : c’est toute l’ambition d’une chrétienne. »

En ce moment apparaît à cette cour, dont elle fut la joie et le deuil, la princesse de Bourgogne, le dernier printemps de la cour de France.

Un grand esprit en latin (le latin tenait encore à la langue universelle), appelé Santeuil, remplissait la ville et la cour de ses vives saillies. Il n’était pas fou, il était bizarre. Un brin de génie et l’amitié de Despréaux, sans oublier la protection de Bossuet, voilà Santeuil. Ses belles hymnes, toutes remplies de l’inspiration de l’ode antique, adoptées par toute l’Église de France, étaient chantées dans les grands jours, et lui-même il s’enivrait de sa propre inspiration. Mais ce bonhomme (et voilà cette fois le mot juste) se plaisait un peu trop à la suite des grands seigneurs. Comme il dînait à la table de M. le prince de Condé et que chacun se plaisait à l’entendre, le prince eut l’idée abominable de jeter dans le verre de Santeuil