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qu’il avait son cornet à ses côtés et du parchemin à la marque de monseigneur (c’était un pot qui se brise, image parlante de la féodalité), il chercha quelque porte entr’ouverte, afin d’instrumenter contre un vassal assez hardi pour être un peu mieux logé que son seigneur. Les portes étaient fermées, mais la fenêtre était ouverte, et du haut de son cheval M. le bailli put contempler tout à l’aise les crimes contenus dans cette honnête maison.

Le premier crime était une belle table en noyer, couverte d’une nappe blanche, et sur la nappe, ô forfait ! un pain blanc, et du sel blanc dans une salière ; un morceau de venaison sur un grand plat de riche étain, plus brillant que l’argent, annonçait un repas tel qu’on en faisait avant la croisade sous le roi saint Louis. Deux gobelets d’argent étaient remplis jusqu’au bord d’une liqueur vermeille. Un hanap ciselé par un maître, et de belles assiettes représentant la reine et le roi de France ajoutaient leur splendeur à toutes ces richesses bourgeoises. L’ameublement n’était pas indigne de tout le reste. Enfin, deux jeunes gens, la femme et le mari, dans tout l’éclat de la force et de la jeunesse, étaient assis, entourés de trois beaux enfants vêtus comme des princes, et peu affamés, sans nul doute, à les voir riant et jasant entre eux.

Pendant que M. le bailli dévorait des yeux ce repas qu’un ancien chevalier de la chevalerie errante eût trouvé cuit à point, et comme il faisait déjà l’inventaire de ces richesses suspectes, une grande et vive dispute s’éleva soudain entre la femme et le mari. Il semblait que celle-ci avait acheté, sans le dire à celui-là, un collier d’or à la ville voisine, et le mari lui reprochait sa dépense. Après la première escarmouche, ils en vinrent bien vite aux gros mots, pour finir toujours par celui-là, si rempli de dangers pourtant : Ma femme au diable !— Au diable mon mari !