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connu. Il entendit cependant à la fenêtre d’une grande maison, gardée par une sentinelle, un cri de surprise et de joie, et même il lui sembla qu’une main bienveillante envoyait à son adresse un baiser qui se sentait dans les airs :

— Si c’était pour moi ! se disait le commandant.

Il se sentait déjà moins seul et moins perdu dans cette illustre cité, où l’église et la magistrature, la science et le droit avaient posé leurs tabernacles.

Ils arrivèrent ainsi à la porte de la caserne où les attendait l’état-major du régiment.

— Soyez le bienvenu, commandant, disait le colonel, mais vous avez diablement tardé ! nous sommes ici depuis quinze jours.

Ce colonel n’était pas un méchant homme ; il était un officier de fortune. Il n’avait pas trouvé d’obstacle en son chemin : tout lui avait réussi, et surtout la faveur des inspecteurs généraux, pas un de ces messieurs ne voulant déranger un contentement si parfait. Il faut dire aussi que ce colonel trop heureux était plus jeune de dix années que le commandant Martin. Il n’avait pas dans tout son corps une seule blessure ; il se portait à merveille, et M. son père lui faisait une haute paye de deux cents louis, ce qui représente une grosse somme au régiment le mieux tenu. Quand toutes les formalités furent accomplies, chaque homme à sa place et le cheval à la provende, les officiers de tout le régiment dînèrent ensemble, et les premiers arrivés portèrent la santé des nouveaux venus.

— Nous voilà bien loin de Paris, disait le lieutenant Charlier, et Dieu sait quand nous déjeunerons au café de la rue du Bac.

Alors chacun raconta son histoire, et, chose étrange, le