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deux haies, le bailli songeant à sa destinée et cherchant quelque ruse en son arsenal, le démon marmottant une antienne, en dérision ; les deux porteurs de sacs, parfaitement indifférents à ce qui se passait autour d’eux, car leur infime condition les mettait à l’abri de la colère du prince des ténèbres. On eût dit que la solitude était agrandie et que le chemin s’allongeait de lui-même. Il n’y avait rien de plus triste à voir que ces quatre monotones voyageurs.

Il y eut cependant une éclaircie inattendue : une maison neuve et de gaie apparence. Elle était bâtie en belles pierres et recouverte en tuiles avec des carreaux de vitre, très rares en ce temps-là, qui resplendissaient au soleil. On eût dit que ce chef-d’œuvre avait été apporté, tout fait, dans la nuit, à l’exposition du soleil levant, sur le penchant de la colline. Une grande aisance, un ordre excellent présidaient à cette habitation. On entendait chanter le coq vigilant ; les chiens jappaient ; une belle vache à la mamelle remplie errait librement dans l’herbe épaisse ; on entendait sur le toit roucouler les pigeons au col changeant ; des canards barbotaient dans la mare, et le long du potager s’élevait la vigne en berceau.

Le démon contempla sans envie une si grande abondance, et, se tournant vers le bailli stupéfait :

— M’est avis, maître égorgeur, que voilà un logis oublié dans tes procédures. Prends garde à toi, j’irai le dire à ton maître, et sans nul doute il mettra à la porte un comptable si négligent que toi.

Le bailli, cependant, ne savait que répondre. Il était tout ensemble heureux d’avoir rencontré cette nouvelle mainmortable et honteux de n’avoir pas encore exploité cette fortune. Il en avait tant de convoitise, qu’un instant il oublia son compagnon. A la fin, et s’étant bien assuré