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lait, où il mouillait un petit pain qu’il présenta à Zémire. Elle était plus délicate que lui, et refusa le pain, non pas sans tremper sa langue dans la tasse. Il l’encourageait de son mieux. Quand il eut achevé son pain, il offrit dans sa cuiller un peu de brioche à Zémire. Elle avait faim, elle ne fit pas la rechignée et mangea la moitié de la brioche. Alors ce brave homme acheva sa tasse de café au lait sans honte et sans perdre une miette. Il était sobre et vivait de peu. Les trois femmes, qui le regardaient à la dérobée et le dévoraient du regard, se disaient d’un signe imperceptible :

— Il n’y a rien de plus simple et de meilleur que cet homme-là.

Quand tout fut bu et mangé, Zémire s’endormit paisiblement sur le bras de son hôte, et le commandant, retenant son souffle, se mit à lire une revue. Nos trois femmes, qui n’étaient pas non plus que Zémire habituées à tant d’émotions, attendirent assez longtemps leur modeste déjeuner ; mais elles se consolèrent de leur attente, quand le commandant fut arrêté dans sa lecture par un de ses frères d’armes. Ils ne s’étaient pas rencontrés depuis longtemps, et celui-ci disait à celui-là :

— Qu’êtes-vous devenu, mon commandant ? Nous vous avons laissé mort sur le champ de Solférino, et nous vous avons bien pleuré.

— Mon cher lieutenant, reprenait le commandant Martin, la guerre et la gloire ont leur mauvaise chance, et tout autre mort que le commandant Martin se fût relevé colonel, avec la croix d’officier de la Légion d’honneur. Mais les uns et les autres, vous m’avez trop pleuré, et mes lanciers, petits et grands, ont été quittes avec moi en disant : « C’est dommage ! » Revenu de si loin, j’ai