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été le témoin, Mme de Launay, calme et résignée, écrivit les Mémoires de sa vie. Elle eut grand soin, dans cette tâche assez dangereuse, de n’en montrer que les beaux côtés ; elle voulait paraître aimable, afin de laisser d’elle-même et de son passage ici-bas un bon souvenir. Cependant nous avons retrouvé un portrait qu’elle avait écrit de sa main, et qui la montre à peu près telle qu’elle était, l’heure n’étant pas venue encore où l’on arriverait à écrire en toutes lettres et sans y rien omettre, non pas même la honte et le mépris, ses propres confessions. On ne lira pas sans intérêt les deux pages que voici :

« Mlle de Launay est de moyenne taille, assez maigre, et désagréable au premier abord. Son caractère et son esprit sont comme sa figure ; il n’y a rien de travers, mais aucun agrément. Sa mauvaise fortune a beaucoup contribué à la faire valoir. La prévention où l’on est que les gens dépourvus de naissance et de bien ont manqué d’éducation fait qu’on leur sait gré du peu qu’ils valent ; elle en a pourtant eu une excellente, et justement elle en a tiré ce qu’elle a de bon, les principes de vertu, les sentiments élevés, et les droits sentiers d’une conduite exacte que l’habitude à les suivre lui a rendus faciles et naturels.

« Sa folie a toujours été de vouloir dominer par la logique et la raison ; et, comme les femmes qui se sentent serrées dans leur corps s’imaginent être de belle taille, sa raison l’ayant incommodée, elle a cru en avoir beaucoup. Toutefois elle n’a jamais pu surmonter la vivacité de son humeur, ni l’assujettir du moins à quelque apparence d’égalité, ce qui souvent l’a rendue désagréable à ses maîtres, à charge dans la société, et tout à fait insupportable aux gens de sa dépendance. Heureusement la fortune ne l’a pas mise en état d’en envelopper plusieurs dans cette disgrâce. Avec tous ces défauts, elle n’a pas