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M. Leblanc resserrait toujours davantage. Il voulait obtenir de la confidente un aveu auquel s’était soumise la maîtresse, et il s’indignait qu’une servante eût plus de courage et d’honneur que toutes ces dames et tous ces gentilshommes, trop pressés de racheter leur liberté par des lâchetés misérables.

Mais pendant que le public, bon juge en toutes les choses honnêtes, condamnait hautement la conduite de ces conspirateurs si peu constants avec eux-mêmes, tous les regards et, disons-le, tous les respects se tournaient du côté de la captive. « Ah ! disait-on, en voilà une au moins qui ne cède pas aux menaces, et qui maintient ce qu’elle a dit tout d’abord. » Telle est la toute-puissance des louanges populaires, elles franchissent les fossés les plus profonds, elles pénètrent dans les plus hautes citadelles. Mlle de Launay, dans sa solitude, avait comme un pressentiment de l’admiration dont elle était l’objet légitime ; elle en était tout encouragée à résister à la violence. Aussi, ni les menaces d’une captivité sans fin, ni l’espérance d’une délivrance prochaine, ni les peines et les infirmités de la prison, qui finit presque toujours par dompter les volontés les plus fermes, ne vinrent à bout de ce grand courage, et la prisonnière fut plus forte que ses geôliers.

Au bout de six mois encore de cette courageuse résistance, elle vit s’ouvrir les portes de la Bastille, et toute contente, et toute joyeuse, elle prit le chemin de Sceaux dans la voiture publique. Autant elle était entrée en grande cérémonie à la Bastille, accusée et complice d’un crime d’État, autant, à cette heure, elle était une simple bourgeoise, et l’on n’eût jamais dit, à la voir, quel grand rôle elle avait joué dans cette illustre tragédie, où les têtes les plus hautes avaient couru un vrai péril. Comme elle respirait en