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ne, et je te quitte, à moins pourtant que ce bonhomme ne m’ait pas donné son porc de bon cœur. C’est le bon cœur qui fait le présent, tu le sais bien. Il ne s’agit pas de donner de bouche, il faut que la volonté y soit tout entière. Attendons !

Comme il disait ces mots, le diable et le bailli virent accourir du milieu des feuillées une douzaine de charbonniers, qui, voyant le porc allant de leur côté, poussèrent des cris de joie :

— Ah ! mon Dieu ! disaient-ils, ami Jean, où donc as-tu trouvé tant de provende ?

Et les voilà entourant la bête et son guide. Ils ne contenaient pas leur joie ; ils dansaient en rond et chantaient : Ami pourceau ! quelle fête et quel bonheur ! Nous mangerons ton sang, nous mangerons ta chair ! Nous ferons des saucisses, des boudins, des grillades ; ta tête et tes pieds nous reposeront d’un long jeûne !

Et tous ils étaient si contents, si joyeux, qu’ils ne virent pas même le bailli. Celui-ci poursuivit son chemin.

— Tu le vois bien, lui disait son camarade, avec son méchant rire, ces paysans affamés ne m’ont pas donné le pourceau de bon cœur.

Le bailli baissa la tête en se demandant où en voulait venir le prince des ténèbres ? Il savait que, de tous les logiciens de l’école d’Aristote, le diable était le plus grand de tous. Pas un argument qu’il ne rétorque, et pas un syllogisme dont il ne trouve à l’instant même le défaut.

Cependant ils arrivèrent à la porte d’une cabane, et sur le seuil ils trouvèrent une humble vieille qui filait sa quenouille en agitant de son pied lassé un petit berceau. L’enfant criait et gémissait ; il appelait sa mère ; il avait faim. La mère était au loin qui ramassait des branches mortes, et l’enfant criait toujours :