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était parti oubliant de prendre congé de cette humble amie, et ne se doutant pas que peut-être elle avait sauvé sa tête en brûlant la pièce la plus compromettante du procès.

Que vous dirais-je ? Après tant d’angoisses et d’inquiétudes, la prisonnière resta seule à la Bastille, et ne comprenant guère comment la moins coupable était détenue, à l’heure où l’indulgence et le pardon s’étaient étendus sur tous ses complices. C’est une chose étrange et pourtant vraie : aussitôt que le danger a disparu dans une affaire d’État, la captivité devient insupportable. Autant le prisonnier mettait de zèle et d’ardeur à sauver sa vie, autant il reste inerte à présent qu’il se demande quand finira sa captivité. Il en est à regretter même les heures pénibles de l’interrogatoire, et l’aspect du juge, et les bruits du dehors, toujours pleins de menaces sanglantes. Un prisonnier qui n’est que cela, n’est plus rien, même à la Bastille. On l’oublie, on le néglige, et si Mlle de Launay n’eût pas rencontré parmi ses gardiens le chevalier de Maison-Rouge pour la plaindre et pour le lui dire, elle eût été bien malheureuse.

Mais le chevalier de Maison-Rouge était si tendre et si bon, avec tant de probité, tant d’honneur, tant de petites recherches pour distraire un peu sa captive ; il oubliait si souvent de fermer la porte à double tour ; il avait chaque matin un nouveau livre à lui prêter, non pas les vieux romans poudreux de la Bastille, mais le livre à la mode ou la comédie à peine éclose. Dans ses jours de sortie, il s’en allait par la ville, en quête des moindres anecdotes et de tous les bruits qui se débitent dans les ruelles galantes de la place Royale au faubourg Saint-Germain. Puis, tout ce qu’il avait appris, il le racontait avec mille grâces, ajoutant ce qui pouvait plaire, et