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les trois juges des sombres bords. Ce qu’ils faisaient, ce qu’ils disaient, les prisonniers n’en savaient rien, et cependant il en transpirait toujours quelque chose. Une grande inquiétude pour la prisonnière, c’était de paraître aux yeux de ces messieurs, quand son heure serait venue, en cornette blanche, en linge blanc, et ce fut sa grande occupation de blanchir ce peu de linge. Aussi bien, grande fut sa joie en recevant toutes ses nippes que lui envoyait un ami du dehors, l’abbé de Chaulieu, le poète. On l’avait épargné, on l’avait oublié ; mais lui, il s’était souvenu, et il avait envoyé à la Bastille même un pot de rouge. Ah ! que ce brin de rouge fut le bienvenu ! tant la dame avait peur de pâlir sous les regards de M. d’Argenson.

Il la fit donc comparaître au bout de trois mois :

— Otez votre gant, dit-il, et levez la main.

Elle avait la main belle et la leva volontiers, jurant de dire toute la vérité, et se promettant bien de n’en pas trop dire. Alors commença l’interrogatoire. On voulait savoir pourquoi elle veillait si tard au chevet de Mme la duchesse du Maine. Elle répondit que c’était pour l’endormir.

— Pourquoi avait-on trouvé tant de livres dans sa chambre ?

Elle répondit que c’était parce qu’elle aimait la lecture.

— Et pourquoi tant de papier déchiré ?

C’étaient des bagatelles qu’elle avait composées et dont elle ne se souciait plus.

Puis elle fut reconduite à son séquestre, et, quelque peu rassurée, elle trouva que son état était assez doux, à tout prendre. Elle était prisonnière, il est vrai, mais elle était loin des caprices, des violences et des volontés de sa douce maîtresse ; elle avait brisé le joug des petites