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main du chevalier de Silly au cardinal Albéroni. Ce papier, s’il fût tombé entre les mains de M. d’Argenson, eût été l’arrêt de mort de M. de Silly. Restait maintenant à lui faire savoir que ce papier était anéanti. « Dieu y pourvoira, » se disait Mlle de Launay.

Elle resta au secret sept à huit jours, au bout desquels le gouverneur lui fit une visite, et l’ayant trouvée assez gaie, il lui raconta plusieurs anecdotes de son royaume et finit par lui prêter quelques romans dépareillés de Mlle de Scudéry. C’étaient des romans sans fin, que l’on eût dit composés tout exprès pour les habitants de la Bastille. Elles sont très longues ces premières heures de la prison, mais l’on s’y fait peu à peu ; bientôt le prisonnier s’habitue à ces bruits si divers ; il reconnaît la garde montante et la garde descendante ; il sait quand arrive un nouveau prisonnier ; il sait quand il s’en va. La nuit, si quelqu’un meurt, les gardiens ont beau faire, on entend le bruit de son cercueil. C’est aussi une grande occupation de lire sur la muraille, écrits au charbon, les noms de tant de malheureux qui ont vécu sous ces voûtes funèbres. Sur une de ces murailles avaient été charbonnés, naguère, par une main habile et fluette, et cependant énergique autant qu’une main guerrière, les premiers chants de la Henriade, et le jeune Arouet, lorsque, au sortir de la Bastille, il fut présenté à M. le régent qui lui promettait sa protection :

— J’accepterai, lui dit-il, tous les bienfaits de Votre Altesse Royale, seulement je la dispense de mon logement.

Quand tous les conspirateurs furent arrêtés, alors leur procès commença. Tous les huit jours, M. d’Argenson et M. Leblanc, chargés des interrogatoires, arrivaient accompagnés de l’abbé Dubois. On eût cru voir Minos, Éaque et Rhadamante,