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En même temps tous les amis de la princesse et tous ses confidents furent arrêtés. M. de Malézieu et son fils, M. Davisart, l’abbé Le Camus, deux valets de chambre et quatre valets de pied furent jetés dans les prisons d’État ; la cardinal de Polignac fut exilé en Flandre ; la jeune princesse, la propre fille du duc et de la duchesse du Maine, fut enfermée au couvent de la Visitation, à Chaillot. Voilà donc toute la maison dispersée et toute sa grandeur anéantie. On avait détenu provisoirement et gardé à vue dans sa chambre Mlle de Launay, et son gardien, par compassion :

— Mademoiselle, lui dit-il, ce séquestre est étrange et ne présage rien de bon. Il paraît que vous êtes une des personnes les plus compromises. Croyez-moi, mangez un peu et prenez des forces, vous en aurez grand besoin, j’en ai peur.

Ce terrible homme avait une grande figure et des yeux sinistres, et ressemblait fort à quoique exécuteur des hautes œuvres les plus secrètes.

Cependant Mlle de Launay ne perdit pas tout courage, et, trois ou quatre heures après que tout le monde fut parti, un exempt la vint prendre et la conduisit dans un carrosse à la Bastille. Cette fameuse prison d’État, qui devait tomber en moins de soixante et dix ans entre les mains du peuple de Paris et disparaître en un clin d’oeil comme un château de nuages, était alors une puissance formidable. A ce nom seul, la Bastille, les têtes les plus hautes s’inclinaient, les cœurs les plus hardis étaient saisis d’un indicible effroi. Ces vieilles tours, bâties par les anciens tyrans, s’élevaient menaçantes entre ses fossés remplis d’une eau fangeuse, et l’on se racontait tout bas mille histoires sanglantes de ses cachots sans lumière et sans fond. Il était dix heures du soir, le temps était sombre, et le faubourg Saint-Antoine,