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les amitiés qu’elles recherchent? Eh bien? en réalité, ces individus sont sans amis : ce sont des isolés qui ne rencontrent de sympathie nulle part et qui souffrent cruellement de leur isolement. Comment comprendre cette contradiction? C’est que pour se faire des amis, il faut agir, parler surtout et le faire à propos. Pour attirer l’attention des gens et se faire comprendre d’eux, il faut saisir le moment où ils doivent vous écouter, dire et faire à ce moment ce qui peut le mieux nous faire valoir. Or, nos scrupuleux sont incapables de saisir une telle occasion; comme J.J Rousseau, ils trouvent dans l’escalier le mot qu’il aurait fallu dire au salon. Ont-ils l’idée, ils ne se décident pas à l’exprimer ou ne l’expriment que s’il sont seuls, quand tout le monde est parti. Pour que quelqu’un s’intéresse à eux, il faut qu’il les devine, qu’il fasse tous les efforts pour les mettre à l’aise, pour leur faciliter l’expression. Alors, ils s’accrocheront à lui avec passion et prendront des affections folles et dangereuses. Beaucoup de troubles de leurs sentiments, de leur caractère dépendent au fond de cette incapacité de l’action sociale et surtout de cette incapacité de la parole, qui est bien chez eux un trouble aussi important que le mutisme chez l’hystérique[1].


5. - Les caractères psychologiques des troubles névropathiques du langage.


Quel que soit l’intérêt des remarques précédentes, on éprouve quelque peine à rapprocher ces phobies, ces gênes du langage du véritable mutisme qui semble être quelque chose de plus, puisqu’il est la suppression du langage lui-même. Il faut répéter ici

  1. Beaucoup de ces réflexions rapides sur l’impuissance sociale des psychasténiques sont développées et discutées dans mon travail précédent, Obsessions et psychasténie, p. 355, 375 et pass.