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de constater que la parole intérieure s’arrête quand ils parlent tout haut : c’est qu’ils ne peuvent avoir à la fois deux langages différent.

Ce bavardage intérieur joue un grand rôle dans ce qu’on a appelé la fuite des idées, la volée des idées, « Ideen flucht », dans ce que Legrand du Saulle désignait par un mot que j’ai conservé, « la rumination mentale ». Dans cette suite interminable de raisonnements, de suppositions, de rêveries, et quelquefois de mots sans signification, il y a de l’agitation des idées, mais il y a aussi du bavardage. On s’en aperçoit bien quand on essaye, comme je l’ai fait, d’écrire sous la dictée des malades quelques-unes de ces longues ruminations : il faut renoncer bien souvent à comprendre le sens de ce qu’on a écrit. On retrouve encore ce bavardage intérieur dans les crises de rêverie qui surviennent si souvent quand ces sujets veulent travailler ou quand ils essaient de dormir.

Dans certains cas, l’agitation verbale est plus forte, plus manifeste et plus séparée de la rêverie proprement dite. Certains de ces malades se sentent agités, il faut qu’ils aillent, qu’ils viennent et surtout qu’ils parlent, qu’ils parlent indéfiniment et à n’importe qui, qu’ils racontent leurs peines, tout ce qu’il ne faudrait pas dire. Jean cède à un besoin de ce genre, quand il vient chez moi et me supplie « simplement » de l’écouter pour le soulager : « Il ne peut rien dire de tout cela chez lui, cela rendrait ses parents trop malheureux, et il faut qu’il le dise ». Et pendant une heure et demie ou deux heures, il parle sans s’arrêter un instant, sur le fou rire de la femme de chambre borgne, sur une pièce de deux sous qu’il a en poche et qui été touchée par une femme, ce qui met des fluides dans son pantalon, sur les timbres-poste qui font penser à la politique et au personnage qui est mort après être resté trois quart d’heure avec une dame, etc… » Il se sent soulagé, « détendu », quand