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et il répète cette syllabe quatre fois, huit fois, douze ou vingt-quatre fois, toujours par multiple de quatre, suivant la gravité des troubles contre lesquels il s’agit de lutter. Les manies désignées sous le nom d’onomatomanie ne consistent pas toujours, comme nous l’avons vu, à rechercher certains mots, elles consistent quelquefois dans le besoin de prononcer une phrase avec une perfection particulière. Pn…, homme de cinquante ans, atteint surtout d’obsessions hypocondriaques, s’est mis en tête de chasser les pré-occupations sur sa santé par une phrase cabalistique qu’il doit répéter pour se tranquilliser. Il doit dire : « C’est assez, allons dîner, nous verrons après. » Malheureusement, cette phrase n’a tout son effet que si elle est bien dite et il ne la trouve pas assez bien dite. Il la répète, cela ne lui suffit pas, il la crie à tue-tête ou la dit à voix basse, et il cherche toujours comment il pourrait la dire mieux; il prie sa femme de l’écouter, de l’aider, de la répéter avec lui. Il imagine alors de descendre avec sa femme au fond de la cave, d’éteindre la lumière et de crier la phrase en chœur dans l’obscurité, et il remonte désespéré, parce qu’il n’a pas encore trouvé « le moyen de la bien dire ».

Une observation intéressante de M. Séglas, sur un malade qui a sans cesse un mot sur le bout de la langue et qui ne parvient pas à le bien répéter, me paraît se rapporter à des phénomènes analogues. D’autres malades bien connus ont des impulsions irrésistibles à prononcer des mots obscènes, des mots orduriers. On a raconté vingt fois ces tics de parole chez de grandes dames qui, en offrant aimablement un siège à leurs invités, ne peuvent s’empêcher de laisser échapper ces mots malsonnants : « Vache, cochon, trou du cul du pape ». Plus simplement, d’autres ont le besoin d’accompagner chacune de leurs phrases par une expression stéréotypée, toujours la