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singulier que jouait quelquefois le langage. Certains sujets, qui ne présentent pas la crise complète dans laquelle le malade joue complètement son rêve, se bornent, disions-nous, à le parler. Étendus, immobiles, ils racontent tout haut les événements qui les ont troublés. Si on songe qu’ils n’ont aucune perception du monde extérieur, qu’ils ne connaissant pas la présence des témoins, que d’ailleurs ils n’ont aucune intention de faire connaître leurs idée fixe par le langage. Il y a déjà là un besoin exagéré de parler qui s’ajoute à l’idée fixe elle-même.

Mais dans d’autres cas le trouble du langage est plus manifeste parce qu’il se sépare en quelque sorte du trouble intellectuel. En effet, en écoutant le sujet, nous remarquons qu’il n’exprime pas toujours la même idée, qu’il parle de choses très variées et que ces choses sont d’ailleurs tout à fait indifférentes, en dehors de toute émotion et de toute idée fixe. J’ai insisté autrefois sur le cas de Joséphine L…[1]. À tout moment, dans la journée, elle fermait les yeux, restait immobile et insensible à toute excitation, elle se mettait à bavarder tout haut sur les événements survenus dans la salle : « Ces médecins, quels cochons! Ils ont encore emporté une pauvre femme pour la couper en morceaux…! couillons, va, idiots… si jamais je vous obéis, si je prends encore vos sales médicament…! Je vais me marier, j’aurai de beaux habits… non, j’aime mieux mourir, je ferai mon testament, X… mon petit ami aura des millions et Y… (l’interne de la salle), cette tête d’écureuil, ce cochon, il n’aura qu’une tournure de six sous… » Elle continuait ainsi sans qu’il fût jamais possible d’entrer en relations avec elle et elle se réveillait d’elle-même, sans aucun souvenir de ce qu’elle avait dit. J’ai revu

  1. Les Accidents mentaux des hystériques, 1894, p. 170.