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Toutes ces diverses manies mentales peuvent se réunir, se combiner les unes avec les autres et déterminer un état d’esprit bien curieux que j’ai appelé la rumination mentale[1]. C’est un singulier travail de la pensée qui accumule les associations d’idées, les interrogations, les questions, les recherches innombrables, de manière à former un inextricable dédale. Le travail est plus ou moins compliqué, suivant l’intelligence du sujet; mais qu’il tourne en cercle ou qu’il prenne des embranchements, il n’arrive jamais à une conclusion, il ne peut jamais « tirer la barre », et s’épuise dans un travail aussi interminable qu’inutile.

Il est facile de comprendre les raisons qui déterminent ce travail et ces manies. Il est évident que les mauvaises habitudes y jouent peu à peu un grand rôle; mais il n’en est pas moins vrai qu’il y a au début une raison qui pousse le sujet à ces recherches bizarres. Il s’agit à mon avis, de sentiments particuliers que le sujets éprouve à propos des opérations intellectuelles qui viennent de s’accomplir. J’ai été amené à désigner ces sentiments par un barbarisme que je prie le lecteur d’excuser, car il m’a paru faire image et désigner bien le fait essentiel dont tous ces sujets se plaignent, le caractère inachevé, insuffisant, incomplet qu’ils attribuent à tous leurs phénomènes psychologiques, je les ai appelés des sentiments d’incomplétude[2]. Quand ce sentiment porte sur les opérations intellectuelles, les malades sentent d’abord que le travail de l’esprit leur est difficile, presque impossible; ils ont le sentiment de l’insuffisance de leur attention, de son instabilité; ils se figurent qu’ils ne comprennent rien, que leurs idées sont très nombreuses, embrouillées, incoordonnées, et surtout ils ont un sentiment qui domine tous les autres, le sentiment du doute. Au

  1. Obsessions et psychaténie, I, p. 146.
  2. Ibid., I, p. 264.