Page:Janet - Les névroses, 1909.djvu/65

Cette page n’a pas encore été corrigée

Saulle : un malade de ce genre était préoccupé par la question grave de savoir si les femmes qu’il rencontrait étaient laides ou étaient jolies. Un domestique devait même l’accompagner pour répondre toujours avec précision et ne pas laisser la question grandir dans son esprit. Un jour, ce domestique eut l’imprudence de dire qu’il n’avait pas remarqué si la buraliste du chemin de fer était laide ou jolie. La crise déterminée par cette recherche fut telle qu’il fallut envoyer le domestique faire de nouveau le voyage.

Cette manie des recherches peut s’appliquer à l’avenir, elle peut se compliquer et se transformer en manie de l’explication qu’on appelait autrefois la folie métaphysique. J’ai pu observer chez de nombreux sujets tous les degrés de ces recherches d’explications, depuis les questions les plus humbles sur la couleur des feuilles dans les arbres jusqu’aux plus grands problèmes métaphysiques. L’une se demande indéfiniment : « Pourquoi porte-t-on un tablier? pourquoi met-on une robe? pourquoi les messieurs n’ont-ils pas de robe? » Un autre s’interroge sur la fabrication des objets : « Comment a-t-on pu faire une maison? un bec de gaz? » Celle-ci se demande toute la journée : « Comment se fait-il qu’il tonne, qu’il y ait des éclairs, qu’il y ait un soleil, qu’il fasse jour ou nuit? Si on avait pas de rivières et pas d’eau comment est-ce qu’on ferait pour boire, pour laver? Et si on n’avait pas d’yeux, comment est-ce qu’on ferait pour voir? » Celle-là s’élève à des problèmes psychologiques : « Comment des petits points noirs sur le papier peuvent-ils contenir une pensée? Comment les mot viennent-ils dans ma bouche en même temps que je pense? Comment la parole, qui est un bruit, peut-elle transporter la pensée? Comment se fait-il que j’aime ma fille qui est en dehors de moi? » Il est curieux de remarquer que ces spéculations ne se présentent pas uniquement chez les personnes intelligentes