Page:Janet - Les névroses, 1909.djvu/63

Cette page n’a pas encore été corrigée

souvent. Je me demandais : quel état suis-je? Si je mourais à l’instant même serais-je damné?… Toujours craintif, et flottant dans cette cruelle incertitude j’avais recours, pour en sortir, aux expédients les plus risibles et pour lesquels je ferais volontiers enfermer un homme si je lui en voyais faire autant… Je m’avisait de me faire une espèce de pronostic pour clamer mon inquiétude. Je me dis : je m’en vais jeter cette pierre contre l’arbre qui est vis-à-vis de moi : si je le touche, signe de salut; si je le manque, signe de damnation. Tout en disant ainsi, je jette ma pierre d’une main tremblante et avec un horrible battement de cœur, mais si heureusement qu’elle va frapper au beau milieu de l’arbre; ce qui véritablement n’était pas difficile, car j’avais eu soin de la choisir fort gros et fort près. Depuis lors je n’ai plus douté de mon salut »[1]

Un grand nombre d’autres manies méritent bien le nom de manies de l’au delà. L’esprit toujours instable veut dépasser le terme donné, y ajouter autre chose, aller au delà. Nous verrons un grand nombre de ces manies à propos des troubles de la perception; mais quelques-unes se rattachent aux trouble proprement intellectuels, par exemple les manies de la recherche et surtout de la recherche dans le passé. Pour se convaincre qu’il n’a pas accompli dans la journée un acte criminel, Ce… s’arrête et cherche à se rappeler exactement les diverses actions qu’il a faites, les différentes phases par lesquelles a passé chaque action. Il emploie des heures à vérifier dans sa mémoire comment il a passé d’un mouvement insignifiant à un autre aussi futile. Si par malheur, dans cette revue, il y a un instant dont le souvenir ne soit pas précis, le voici au comble du désespoir. Qu’a-t-il

  1. J-J ROUSSEAU, Les Confessions, I, liv. 6, édit. des oeuv.,1839, XV, p. 437.