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plupart des malades, dès le début de leurs troubles, se sentent faibles, se sentent mécontents d’eux-mêmes; ils ont l’impression plus ou moins juste que leurs actions, leurs sentiments, leurs idées sont réduits, sont incomplets, sont couverts par une sorte de voile, de brouillard. Aussi sont-ils perpétuellement tourmentés par un ennui vague et profond qu’ils ne peuvent surmonter. L’ennui est le grand stigmate de tous les névropathes : il ne faut pas croire qu’il dépende du milieu extérieur, le névropathe s’ennuie partout et toujours car aucune impression ne détermine chez lui des pensées vives qui le rendent satisfait de lui-même.

Ces sentiments généraux de mécontentement, ces sentiments d’incomplétude, comme je l’ai baptisés ailleurs[1], inspirent presque toujours au malade une attitude et une conduite particulières. Ou bien il se laisse aller avec un air gémissant, ou bien il cherche partout quelque chose qui puisse le tirer de cet état pénible. Or, il n’a à sa disposition que très peu de moyens pour s’exciter : ou bien il usera des procédés d’excitations physiques ou moraux dont il peut se servir lui-même, les boissons alcooliques, la nourriture excessive, la marche, les sauts, les cris, ou bien il fera appel aux autres hommes et réclamera sans cesse qu’on l’excite, qu’on le remonte par les encouragements, les éloges, et surtout par le dévouement et par l’amour. Ces gens-là seront à la fois gémissants et agités, ils vont commettre toutes sortes d’excentricités, parce que l’excentricité excite et parce qu’elle attire l’attention sur eux. Il leur faut attirer l’attention sur eux pour qu’on s’occupe d’eux, qu’on leur parle, qu’on leur fasse des éloges et surtout qu’on les aime. Ce besoin existe chez les hystériques très fortement, au moins dans certains cas, mais ce n’est pas du tout

  1. Obsessions et psychasténie, p. 264.