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c’est la manière dont surviennent ces périodes de dépression. Dans un certain nombre de cas, elles apparaissent graduellement et se développent insidieusement pendant des mois et des années. Les malades ne peuvent plus parvenir au sentiment de la réalité dans la perception extérieure, mais ils ne s’en plaignent guère, ils ont de l’aboulie, de l’indécision, de la lenteur, de l’inachèvement des actes; ils deviennent incapables d’ap-prendre et ne se rendent plus bien compte de ce qu’ils lisent et de ce qu’ils entendent. Les choses continuent ainsi pendant très longtemps en s’aggravant insensiblement jusqu’à ce qu’à un moment donné éclatent des crises d’agitation ou des obsessions : c’est là une des formes communes de la maladie.

Plus souvent qu’on ne le croit, les choses se passent tout à fait différemment; il y a un changement brusque de l’état mental à propos d’une maladie physique ou plus souvent à propos d’une violente émotion. Tout d’un coup, en quelques instant, le malade se sent transformé, il entre immédiatement dans l’état de dépression que nous venons de décrire. Des faits de ce genre étaient déjà décrits autrefois sans qu’on les comprît bien : Ball publie la lettre suivante d’une de ses malades : « Au mois de juin 1874, dit celui-ci, j’éprouvai subitement, sans aucune douleur ou étourdissement, un changement dans la façon de voir; tout me parut drôle et étrange, bien que gardant les mêmes formes et les mêmes couleurs… Je me sentis diminuer, disparaître, il ne restait plus de moi que le corps vide. Tout est devenu de plus en plus étrange et maintenant, non seulement je ne sais ce que je suis, mais je ne peux me rendre compte de l’existence, de la réalité[1]»

J’ai observé très souvent des changements brusques

  1. BALL, Revue scientifique, 1882, II, p. 42.